Emotions sous licence
On dit qu’autrefois, les cœurs vibraient libres,
Que l’amour jaillissait sans chiffres ni cibles.
Que la peur, la colère, la joie éclataient,
Sans code, sans barrière, sans marché secret.
Mais ce temps est révolu, effacé,
Désormais, chaque émotion doit être validée.
Sous un sceau, sous un droit, sous un prix,
On ressent ce que l’on nous prescrit.
Un brevet pour le frisson du premier regard,
Un contrat pour pleurer sous un ciel trop noir.
Les rires éclatants sont sous restriction,
Et l’angoisse est vendue sous condition.
Ils ont scellé les vagues du chagrin,
Encadré le bonheur d’un sceau clandestin.
Désormais, aimer n’est pas un droit,
C’est un abonnement, un service, un choix.
Les âmes errent dans des cages de verre,
À la recherche d’une larme sincère.
Mais le deuil est taxé, l’extase contrôlée,
Le désespoir calibré, tout est réglementé.
Toi qui marches sous ce ciel muet,
As-tu signé pour trembler d’effet ?
As-tu payé pour ce doute lancinant,
Ou est-ce un excès, une faute, un manquement ?
Dans l’ombre des tours, des marchés cachés,
Certains vendent des frissons volés.
Un amour interdit, un cri non scellé,
Des émotions brutes, jamais brevetées.
Ils chuchotent qu’il existe un endroit,
Un lieu où le cœur n’obéit à aucune loi.
Où l’on peut hurler, frémir, s’émerveiller,
Sans licence, sans code, sans être jugé.
Mais la nuit est courte, les veilleurs veillent,
Le contrôle est strict, le réseau surveille.
Bientôt, ils breveteront les songes,
Et nos âmes deviendront des mensonges.
Et si un jour, on me retire tout droit,
Si l’on scelle mon rire, mon émoi,
Alors je creuserai dans l’oubli,
Pour exhumer une rage non asservie.
Car l’homme n’est pas un dossier,
Ni une donnée que l’on peut brider.
L’émotion n’est pas un marché,
C’est un feu que rien ne peut dompter.