Souvenirs sans racines
Je ferme les yeux, mais ce que je vois,
Ce ne sont pas mes souvenirs à moi.
Des images surgissent, douces et claires,
Comme si j’avais toujours été là, naguère.
Je me revois enfant, riant sous la pluie,
Je sens la chaleur d’une main dans la nuit.
Une voix m’appelle, un parfum m’étreint,
Mais ce passé n’a jamais été le mien.
Un écran brille dans l’ombre du soir,
Des vies entières à télécharger, à croire.
Un amour perdu, un voyage oublié,
Des instants gravés, prêtés pour exister.
Un simple clic, et tout devient vrai,
Les souvenirs coulent comme un long flot secret.
Je peux tout choisir, bâtir mon passé,
Corriger l’histoire, tout réinventer.
Mais quand je parle de ces jours anciens,
Quand je dis "Je me souviens bien",
Est-ce encore moi dans ces images dorées,
Ou juste un étranger que j’ai adopté ?
Chaque mémoire ajoutée efface un détail,
Un visage réel devient plus pâle.
Et si demain je ne savais plus
Ce qui vient de moi ou ce qui fut ?
On me vend des instants comme on vend du vent,
Des rires, des chagrins, des battements.
Mais un souvenir sans racine profonde,
Est-ce vraiment un bout de mon monde ?
Alors je cherche, je doute, je tremble,
Suis-je encore entier, ou bien en miettes ?
Si tout peut s’écrire, se tordre, se peindre,
Que vaut la vérité, si je peux l’éteindre ?
Je ferme les yeux, mais cette fois, rien,
Pas d’images fausses, pas de bruits anciens.
Juste un silence, doux et léger,
Le seul souvenir que je n’ai pas volé.