Vu !
On murmure, à l’orée des jungles perdues,
Qu’un être étrange erre parmi les feuillues.
Un homme sans bouche, sans souffle, sans voix,
Mais dont les yeux brûlent, cent flammes à la fois.
Les explorateurs, pris d’un frisson,
Disent l’avoir vu, juste une vision.
Un éclat rouge dans l’épaisseur verte,
Un regard multiple, un signe d’alerte.
Il marche sans bruit sur un sol gorgé,
Ses pas effacent ceux du passé.
Nul ne sait s’il veille ou s’il chasse,
S’il protège la terre ou s’il menace.
Les anciens l’appellent l’Œil du Déluge,
Gardien muet, fardeau qu’il refuge.
Ses prunelles ardentes sondent la nuit,
Comme si le temps lui-même le fuit.
On raconte qu’il était autrefois un roi,
Un homme d’orgueil, avide de pouvoir.
Il voulait tout voir, tout savoir,
Mais les dieux l’ont puni de son regard.
Privé de bouche, privé de mots,
Condamné à voir mille choses de trop.
Les larmes lui sont interdites,
Les cris aussi, à jamais proscrits.
Certains disent que, si tu le croises,
Ne fuis pas, ne brise pas l’extase.
Car ses yeux ne clignent jamais,
Ils t’épient, te sondent, te connaissent.
Si tu ressens son regard sur ta peau,
Si l’ombre vacille dans un halo,
Alors détourne-toi sans trembler,
Et surtout, surtout, ne le fixe jamais.
Car qui ose plonger dans ces feux,
Voit en lui mille reflets affreux.
Des passés volés, des âmes brisées,
Un abîme d’images à jamais figé.
Ainsi, la jungle le garde en secret,
Un spectre sans faim, sans regret.
Et chaque nuit, sous la brume épaisse,
Ses cent pupilles veillent… et ne cessent.